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Nous continuons aujourd’hui notre petit périple bourguignon ... Après avoir visité le sous-sol bourguignon dans le précédent épisode, nous nous intéressons aujourd’hui aux sols de cette contrée…
Les premiers crus de St Romain, Juillet 2019, par Johan Cougnaud (Ami éternel et caviste) L’établissement de la faille bourguignonne Après les incursions successives des océans au cours du mésozoïque, changement radical d’ambiance au cours de l’ère géologique suivante, l’ère cénozoïque. Elle commence il y a 60 millions d’années, lorsque la plaque africaine, au départ rattachée au continent américain, entre en collision avec la plaque continentale européenne (Cf mappemonde en première partie de ce voyage). Après les flots tropicaux apportant leur lot de surprises exotiques, place à une ère de gigantesques contraintes géologiques. Le manteau va être secoué de profonds spasmes qui vont modifier notre environnement en profondeur. On est proche d’un concert de David Guetta en termes de bruit et de vibration, c’est dire si les temps sont durs... De ce cycle de profondes mutations du manteau, le jaillissement du massif alpin va être la première conséquence. S’en suivront 50 millions d’années très perturbées, aux multiples pliures secondaires sur tout le pourtour du faisceau alpin. Ainsi, 20 millions d’années après les Alpes, au miocène (-23 à -5 millions d’années), c’est au tour des chaines secondaires de sortir de terre : le Jura, le Morvan, le Massif central, les monts du mâconnais ainsi que les monts du beaujolais sont les conséquences de la poussée alpine ; vous pouvez vous amuser à consulter le site du Rénass, qui relève toutes les secousses sismiques en Europe : vous constaterez qu’il y en a des dizaines par jour, et que les tensions dans le manteau sont loin d’être une période révolue ! Entre ces cycles de contraintes intenses vont s’intercaler des périodes de relâchement, que l’on nomme « cycles de détente ». Vont en résulter des cisaillements longitudinaux qui vont provoquer des effondrements plus ou moins importants du manteau. Ainsi, la période de l’oligocène (toujours dans la même ère du cénozoïque), qui s’étale de -34 millions à -23 millions d’années, voit un ralentissement notoire des collisions de plaques. Cette phase de détente va entrainer la formation d'un rift nord-sud (ou fossé d’effondrement) au cours de laquelle de grands blocs s'enfoncent lentement le long des failles existantes. Cela se traduit par l’effondrement de la plaine d’Alsace, de la vallée de la Saône, de la plaine Bressanne, du Bas-Dauphiné et plus à l'ouest des Limagnes (vallées de la Loire et de l’Allier). Par contrecoup, les bordures de ces bassins d'effondrement se relèvent. C’est ainsi que sortent de terre ces « vignobles en cuesta » que sont la côte des bars en champagne, la côte de nuits et la côte de Beaune ainsi que la côte chalonnaise en Bourgogne et le vignoble d’Alsace. Le faisceau de failles aux orientations croisées va découper les différents terrains de la région en blocs, en gradins, qui vont se positionner en marches d'escalier vers la plaine de la Saône et former les reliefs de la montagne, de l’arrière Côte et de la Côte. Au niveau micro-géologique, les scientifiques bourguignons ont coutume de dire « En moyenne, il y a en Bourgogne une faille de 100 mètres de long tous les kilomètres, une de 10 mètres tous les cents mètres et une de 1 mètre tous les dix mètres. On comprend ainsi que les racines des vignes trouveront toujours un chemin vers l’eau au travers la roche. Le découpage intime du substrat rocheux va influer sur la variabilité des types de vin à l’échelle des parcelles ». (In Le grand Atlas des vignobles de France) On comprends ainsi que le rebord de faille bourguignon est la conséquence directe des effondrements des plaines de Bresse et de Saône, que les cours d’eau vont finir de façonner, notamment au cours de l’ère glaciaire qui va suivre ...
Plan de coupe géologique du grand est (grand Atlas des vins)
Un système complexe d’échanges géologiques
Pour achever notre compréhension de l’unicité du terroir bourguignon, il faut envisager la mécanique qui s’y met en place lors de l’ère glaciaire qui va suivre entre -2 millions -10.000 ans…
De très importantes calottes glaciaires se développent sur le Jura et les Alpes ; en découlent d’intenses ruissellements d’eaux de fonte, qui se matérialisent par des cours d’eaux au débit furieux. Ils vont achever le façonnement de notre relief.
Ainsi, là où le manteau a subi les soulèvements les plus prononcés, la couverture sédimentaire qui s’était accumulée au fil des ans au-dessus de la roche mère volcanique va s’éroder et être en partie voire intégralement emportée. Les roches magmatiques vont ainsi affleurer à nouveau, ce qui explique pourquoi le Massif central, le Morvan ainsi que les monts du beaujolais, tous voisins de la côte bourguignonne, sont de nature volcanique (on plantera donc en Beaujolais ainsi que dans le Massif central du gamay, qui exprime sa quintessence sur des terroirs granitiques).
Et puis, lorsque le soulèvement du manteau à l’ère précédente (aucun lien ici avec les ennuis récents de Valéry Giscard d'Estaing) a été moins important, ces puissantes rivières vont sculpter la roche sédimentaire plutôt que l’emporter intégralement. En observant de près ces falaises qui surplombent les grandes appellations bourguignonnes, on perçoit très bien ce travail de polissage qu’a accompli l’eau. Comme le montre Michel Campy dans sa conférence sur les sols bourguignons (www.faune-bourgogne.fr), ces ruissèlements intenses vont également charrier des alluvions aux origines variées : sables calcaires, galets, roches calcaires et arènes granitiques… Ils vont constituer ce que l’on appelle « les formations superficielles », c’est-à-dire une « couverture superficielle faite d’argiles de décalcification, de fragments calcaires plus ou moins abondants selon leur position dans le versant » posée directement sur la roche mère calcaire.
Denis Blaize dans son ouvrage « Sciences du sol » paru en 1991, montre que cette « dynamique de versants » est tout à fait singulière à la côte bourguignonne. La période glaciaire et l’érosion massive qui en découle engendrent de multiples combes et combottes sur les hauts de côte. Par ces combes descendent ces alluvions sableuses qui vont s’accumuler en bas de versant avec des roches sédimentaires arrachées à la pente en « cônes détritiques » ou « cône de déjection ».
Grâce au climat pluvieux ainsi qu’aux phénomènes de gel/dégel établis en Bourgogne depuis l’ère glaciaire (on vous avait bien dit de ne pas vous ruer sur le site de la SNCF), on remarque un mouvement perpétuel des matières sur chaque coteau par ruissèlement. La couche superficielle constituée de substrat terreux est en interaction constante avec la roche mère sédimentaire sur laquelle elle repose. Ainsi se mêlent minéraux d’origine sédimentaire et matière organique, acteurs indispensables à la vigne. Ils forment des « complexes argilo-humiques » qui stockent et redistribuent les éléments minéraux nécessaires à la plante ; on peut dire qu’ils jouent le rôle d’une banque alimentaire nécessaire au fonctionnement de la vigne.
La mosaïque sédimentaire qui constitue le socle bourguignon, associée à cette complexe « chaine de sols » assure à la Bourgogne une situation unique. C’est ainsi qu’un si petit chemin bourguignon peut être la frontière entre deux mondes ! (Référence à la blague du fin connaisseur bourguignon Nicolas Colloch, caviste au cru des vignerons à Auray que je ne peux hélas reporter ici par peur de pendaison ! Allez-donc le voir et jetez un coup d’œil à sa sélection bourguignonne, ça vaut le détour!..)
Dynamique de versants bourguignonne
Par Michel Campy, revue Bourgogne-Nature 2017
Enfin, pour finir ce chapitre sur l’unicité bourguignonne (mais ce dernier point n’est pas unique à la Bourgogne : il est la base de tout vignoble de terrain pentu), la place dans le coteau va déterminer la qualité du fruit :
Plan de coupe de la faille Bourguignonne
Site du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne
On retrouve donc ici tout le poids des temps sur la côte… On remarque que, contrairement aux idées reçues, les grands crus se situent à mi-pente, encadrés par les 1er crus, puis les AOC communales et enfin les AOC régionales (même si cela peut être discutable à certains endroits, la qualité des vins et donc leur prix est évoquée ici par ordre décroissant). La bande de mi-coteaux est la plus noble à plusieurs titres : D’abord, on y retrouve la meilleure exposition solaire. En effet, le rayonnement solaire sera le plus intense sur les plus forts degrés de pente. Cette forte déclivité permet également un meilleur drainage des sols. On le ressent bien en montant dans le coteau : comme me l’a mentionné un vigneron qui taillait ses vignes sur une parcelle voisine à celle où je me trouve dans la vidéo que vous retrouvez sur le Facebook du vin au vert (https://www.facebook.com/levinauvert56/videos/168835864510428/) : « Pour les bas de parcelle, gardes tes bottes mon gars, ça colle dur sous les semelles. Au milieu, ça va mieux ! » C’est vraiment fondamental car l’eau ne stagne pas, ce qui rend le milieu très sain (moins de pourriture sur les grappes ainsi que d’attaques de maladies favorisées par l’humidité). Surtout, cela oblige la plante à développer un système racinaire très dense et profond afin de s’alimenter en eau, et donc rencontrer un maximum de couches sédimentaire qui amèneront de la complexité au futur vin. Enfin, les milieux de pente, les plus abruptes, sont les endroits où la circulation des matières par ruissèlement est la plus forte. Les sols y sont ainsi d’autant plus complexes et riches en termes d’oligo-éléments (un peu comme un shampoing de grande marque...)
Voilà pour la seconde partie de notre voyage. Merci d’être arrivé jusqu’ici, en espérant que ça vous aura divertit et instruit un peu car, comme dit la Madeleine Proust « Mieux vaut mourir le soir que le matin car on en apprend tous les jours ! »
A bientôt pour de nouvelles aventures.
Damien
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Sources de ces recherches : - Le grand Atlas des vignobles de France, par Benoit France; Un puits de connaissances inépuisable et très précis sur toutes les appellations françaises, excellente cartographie à l'appui
- Le site vins, vignes et vignerons : http://www.vinsvignesvignerons.com/Geologie/Geologie-de-la-France/Histoire-geologique-de-la-Bourgogne
- Le site du syndicat viticole bourguignon -mise en ligne depuis mars du détail de toutes les parcelles bourguignonne- https://www.vins-bourgogne.fr
- Denis Blaize -Science du sol, 1991;
- Revue le rouge et le blanc, formidable travail de recherche trimestriel ; particulièrement le numéro 111 (Morey Saint-Denis/ Vosne -Romanée), le numéro 133 (hors-série cépages)
- La Revue des vins de France (numero 635 : hors série Bourgogne)
- Le grand Larousse des vins.
- Et toujours ce fantastique reportage sur Henri Jayer, légende de la vinification bourguignone : https://www.youtube.com/watch?v=GEHBTAJrKSc
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